La Liberté, 07.04.2014

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Quand l’obsolète nous guette

Thierry Raboud

GASPILLAGE • Les objets techniques de notre quotidien ont une durée de vie volontairement
limitée par l’industrie. Une obsolescence programmée qui sera questionnée demain à l’université.

D’autres pistes

Plusieurs remparts existent contre l’obsolescence accélérée des objets techniques qui nous entourent. Pour Vincent Bourquin,
professeur à l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg, qui prendra aussi la parole demain, la modularité en est un. «Lors de la construction d’un avion par exemple, des réflexions sont menées pour que son architecture puisse être mécaniquement adaptée à des éléments techniques et électroniques développés ultérieurement.» Une architecture modulable qui peut en
assurer la longévité: «C’est comme pour un bâtiment dont on changerait plusieurs fois l’affectation plutôt que de le raser complètement pour reconstruire à neuf.»

Des initiatives en ce sens existent, à l’instar du Phoneblock, un téléphone en cours de développement dont l’ergonomie évolutive dépend de pièces détachables indépendantes. Reste que les fabricants ne sont peut-être pas encore disposés à partager le juteux marché de l’électronique grand public, comme le souligne Vincent Bourquin: «Au niveau technique, on peut faire énormément de choses, mais c’est le modèle économique qui pose encore problème.»

Pourquoi une voiture reste-t-elle fonctionnelle pendant 40 ans, alors qu’un téléphone portable est proche de la mort clinique
après deux ans déjà? La réponse tient en deux mots: obsolescence programmée. Soit la tentation toujours plus grande de l’industrie électronique grand public de limiter la durée de vie de nos appareils afin de favoriser l’acquisition du prochain gadget. Une désuétude planifiée qui possède un coût collatéral démesuré, que ne manque pas de payer notre environnement.
Demain, la journée thématique prévue par l’Université de Fribourg verra une dizaine d’intervenants se succéder pour aborder les enjeux technique, économique, philosophique ou politique de cette face sombre du consumérisme contemporain. François Marthaler, ancien conseiller d’Etat vert vaudois et fondateur il y a 34 ans de l’entreprise de réparation La Bonne Combine, viendra exposer sa vision du problème au travers de son engagement pour une informatique durable. Interview.

Pouvez-vous citer un exemple frappant d’obsolescence sciemment planifiée?

François Marthaler:
Le cas des cartouches d’imprimante est significatif. Le dispositif de ces machines est conçu pour indiquer à l’utilisateur que la cartouche est vide, alors qu’il reste de l’encre. C’est que ces imprimantes sont vendues à perte, le bénéfice étant tiré de la vente des cartouches. Sur certaines machines, il y a une manipulation, non documentée dans le guide d’utilisateur, qui permet de faire apparaître un menu secret pour que la machine continue à imprimer. J’ai effectué cette opération sur mon imprimante il y a trois mois. Elle fonctionne encore avec les mêmes cartouches…

Reste que cette obsolescence est motivée par une logique de maximisation du profit, qui semble immuable. Comment en sortir?
Seuls les consommateurs peuvent faire bouger les choses. Mais s’ils sont d’accord de continuer à se laisser tondre, il n’y a aucune raison pour que cela change! Depuis quelques années, les réseaux collaboratifs sur internet permettent cependant des actions coordonnées qui parviennent à mettre ces stratégies en échec. C’est notamment le cas du site ifixit.com, qui recense modes d’emploi et tutoriels pour réparer les objets devenus inopérants à cause de la défaillance d’un de leurs composants.

Mais la réparation coûte parfois plus cher que l’objet lui-même…
Oui, lorsqu’on passe par le fabricant, qui fait tout pour dissuader de réparer. Un client a dernièrement amené à La Bonne Combine un ordinateur portable dont l’écran était cassé – il s’était assis dessus. Le fabricant nous proposait la pièce à 700 francs, alors que cet écran a pu être trouvé en ligne pour 70 dollars, et livré en quelques jours. La réparation en vaut alors la peine.

Mais ces objets ne sont-ils pas parfois trop bon marché?
Oui, et je me souviens avoir vu il y a quelques années un sèche-cheveux vendu à cinq francs, une somme si basse que le simple travail pour changer une éventuelle fiche défectueuse n’en valait pas la peine. Cependant, l’on trouve de plus en plus de consommateurs lassés de ce cercle vicieux, et qui acceptent de payer pour changer un élément d’un obet dont tout le reste est fonctionnel, quitte à payer un peu. Cela suffit à faire vivre une idée, qui est celle du développement durable.

Votre société WhyOpenComputing propose des ordinateurs «durables». En quoi ces objets permettent-ils de faire barrière à l’obsolescence?
Le matériel que nous proposons possède un accès libre et gratuit au plan de construction, ce qui permet une réparation aisée. Par ailleurs, nous travaillons sur des logiciels libres, qui ont cet avantage, outre leur gratuité, que l’utilisateur peut décider s’il veut faire évoluer ses programmes ou non, sans se le faire imposer par l’éditeur. Cela permet de contrer le manque de compatibilité rétroactive des programmes, qui implique par exemple qu’un nouveau système d’exploitation peut soudainement rendre indispensable une nouvelle machine. Avec des ordinateurs qui fonctionnent sous des systèmes d’exploitation libres, la compatibilité est assurée sur des années. Le premier ordinateur dont nous avons fait l’acquisition à La Bonne Combine a ainsi fonctionné durant 20 ans!

Plus d’informations sur http://www.unifr.ch/environment/fr.

Voir l’article mis en page.

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